L’impact de l’IA générative dans l’enseignement supérieur : entre excitation et crainte
L’intelligence artificielle générative : un outil pour l’enseignement supérieur
L’IA générative fait référence à un ensemble de technologies qui utilisent de l’information existant sous forme de texte, de code, d’image, d’audio ou de vidéo pour générer un nouveau contenu dans une de ces formes, sans action humaine. ChatGPT (OpenAI), Bard (Google) et LLaMA (Meta) sont parmi les IA génératives faisant couler le plus d’encre dans les derniers mois.
L’arrivée, la popularisation et les sorties rapides de nouveaux systèmes d’IA générative a généré autant de réponses positives que négatives dans tous les milieux. En percevant ChatGPT, Bard et autres avancées de l’intelligence artificielle générative présentes et futures comme des outils, multiples sont les possibilités pour l’éducation.
L’Histoire a bien montré que le monde de l’éducation s’adapte aux nouvelles technologies : de la calculatrice à l’ordinateur, de Google à Wikipédia, l’automatisation de certaines tâches n’est pas venue diminuer les compétences des étudiants. Elle a plutôt centré ceux-ci sur des compétences de plus en plus complexes. L’IA générative est la plus récente de ces technologies.
Pour les enseignants
Si on se donne l’occasion de l’expérimenter, ChatGPT peut être un outil pour tout le personnel enseignant. Alors qu’il ne remplace pas la présence physique et la personnalité qu’un humain amène dans une classe, ChatGPT est bon pour accomplir des tâches répétitives : corriger automatiquement des exercices, fournir une rétroaction automatique sur des questions d’examen fréquemment manquées par les étudiants, préparer des consignes de travaux. En demandant à ChatGPT de créer des questionnaires, de rédiger des mises en situation ou encore en lui demandant d’améliorer notre matériel pédagogique actuel selon des critères spécifiques, l’IA générative devient un assistant d’enseignement pratique pour développer des outils pédagogiques personnalisés et adaptatifs ou améliorer ceux existants. L’assistant d’IA Copilot de Microsoft, alimenté par GPT-4 d’OpenAI, pourra aussi, lorsque rendu disponible au grand public, devenir un excellent outil pour libérer ou alléger les enseignants de certaines tâches : préparation de présentations PowerPoint, analyse de données d’Excel, rédaction d’ébauches de courriels sur Outlook.
La venue de ChatGPT est l’occasion d’expérimenter ou de bonifier ses pratiques pédagogiques pour amener l’étudiant à démontrer son acquisition de compétences à des niveaux supérieurs à la connaissance, la compréhension ou l’application, habiletés bien maitrisées par l’IA générative. Alors, l’analyse, l’évaluation et la création sont des compétences qui devraient être évaluées, tout comme le processus mental de l’étudiant le menant au travail final. Un journal de bord des apprentissages pourrait par exemple être utilisé, celui-ci permettant à l’étudiant de détailler les étapes du travail réalisé et justifiant l’utilisation d’IA générative, s’il y a lieu. Les travaux réalisés doivent aussi représenter des situations d’évaluation authentiques qui permettent aux étudiants de s’engager pleinement dans leurs apprentissages. Ces situations placent l’étudiant dans une position de réflexion qui est pertinente pour eux, en lien avec leur quotidien ou leurs aspirations de carrière. Le plagiat et l’utilisation de l’IA générative pour réaliser l’ensemble du travail est moins important, étant donné l’implication personnelle que demande ce type de travail à l’étudiant.
La classe inversée est un exemple d’approche pédagogique permettant aux étudiants d’utiliser l’IA dans leur apprentissage comme complément qui bonifie les lectures, les capsules et le matériel pédagogique offerts par l’enseignant. De manière autonome, les étudiants peuvent questionner l’IA générative, ce qui approfondi leurs apprentissages ou peut valider la compréhension d’une notion. Les cours en classe permettent aux étudiants de créer des œuvres (textes, présentations, projet multimédia) qui impliquent ou non l’IA, selon les compétences que désire évaluer l’enseignant.
Pour les étudiants
L’apprentissage du fonctionnement et de l’utilisation de ChatGPT en classe est bénéfique pour la communauté étudiante. L’utilisation de cette technologie est rapidement arrivée dans le paysage de l’enseignement et alors que la majorité des étudiants ont déjà entendu parler ou utilisé ChatGPT, tous ne sont certainement pas outillés pour s’en servir de manière éclairée. L’éducation à ses utilités, ses limites et ses enjeux dans le contexte de cours universitaires permet aux étudiants de profiter de l’outil, tout en étant informés de ses possibles failles.
L’IA peut servir dans le cadre d’un apprentissage personnalisé. Selon les besoins de l’étudiant, ChatGPT peut agir comme un assistant d’apprentissage présent 24 heures par jour, 7 jours sur 7. Il peut par exemple être utilisé pour répondre aux questions, fournir des exercices supplémentaires sur un sujet précis et présenter une rétroaction sur les réponses données par l’étudiant. Les séances de tutorat offertes par ChatGPT sont pratiquement inégalables par sa polyvalence et sa disponibilité. De plus, l’IA générative est un outil à considérer pour soutenir l’apprentissage inclusif de diverses populations étudiantes, par exemple en soutenant les différents types d’apprenants avec du matériel audio, vidéo ou textuel. Les étudiants étrangers devant se familiariser avec une nouvelle langue d’enseignement pourraient aussi bénéficier de ChatGPT, celui-ci étant particulièrement bon pour fournir des traductions et vérifier la langue. Il peut proposer des améliorations à la structure d’un texte et enrichir son contenu, ce qui est profitable pour améliorer les compétences rédactionnelles des étudiants.
L’utilisation de ChatGPT et autres IA génératives est l’occasion pour les étudiants de devenir plus efficaces dans la connaissance et la compréhension de concepts pour ensuite réinvestir ce travail dans l’application de leurs savoirs dans une démarche qui leur demande créativité, analyse et esprit critique.
Pour les universités et la recherche
L’automatisation de tâches est une utilisation de l’IA générative pour bonifier les activités des bibliothèques et de la recherche. ChatGPT peut fournir une liste d’articles sur un sujet précis ou créer des résumés d’article. Il peut aussi assister les chercheurs dans l’écriture d’ébauches de divers écrits (demandes de subventions, articles). Lorsque prises en charge par ChatGPT, ces tâches libèrent du temps aux bibliothécaires et aux chercheurs pour d’autres aspects de leur travail leur demandant l’esprit critique, le jugement et la créativité uniques à l’être humain.
Afin qu’elles répondent mieux à leurs besoins, les universités et ceux concernés de près ou de loin par l’innovation de l’enseignement doivent participer au développement de la technologie des IA génératives. L’utilisation de celles-ci dans le contexte universitaire peut mener à l’adoption d’un outil supplémentaire contribuant à la réussite éducative, à l’inclusion des étudiants et à l’efficacité des activités de toute la communauté. Les IA génératives et plus particulièrement ChatGPT ont encore à faire leurs preuves sur de multiples facettes, mais peuvent définitivement contribuer à innover en enseignement supérieur.
Autrice
ChatGPT, Bard et LLaMA, les enjeux éthiques et les défis associés aux intelligences génératives en enseignement supérieur
L’intelligence artificielle (IA) générative englobe toutes les formes d’intelligence artificielle qui utilisent des algorithmes d’apprentissages non supervisés pour créer de nouveaux contenus tels que des images, des vidéos, des enregistrements audios, du texte ou du code. Il existe plusieurs exemples de modèles d’IA générative utilisés pour diverses applications, notamment GPT4, modèle de langage derrière ChatGPT introduit par Open AI, BERT/BARD de Google et LLaMA de Meta.
Développées à partir des techniques d’apprentissage profond, et entraînées sur une vaste quantité de données, ces IA sont capables de produire des contenus plausibles à partir des contenus existants. Ces nouvelles productions, bien qu’elles paraissent créatives, diversifiées et parfois hallucinantes, courent le risque d’être biaisé, toxique ou inapproprié, car elles reflètent les biais existants dans les données d’entraînement.
Parmi ces IA génératives, le ChatGPT par son accès gratuit et son évolution constante a remarquablement touché l’enseignement supérieur (ES). Le pouls des débats autour de cette technologie reflète à la fois des tensions et d’excitation.
L’impact disruptif de cette technologie, allant au-delà de la simple production du contenu, soulève des questions éthiques et pragmatiques quant à la nature et l’objectif de l’enseignement supérieur. L’utilisation de ChatGPT pourrait entraîner une perte de valeur ajoutée de l’intelligence humaine à l’ère de l’intelligence artificielle. Écrire étant un processus long qui exige de la patience, de l’attention, de la rigueur et de l’humilité intellectuelle. Les étudiants qui recourent à ChatGPT pour raccourcir le chemin vers l’objectif d’un devoir risqueraient de ne pas développer des compétences essentielles pour réussir leurs carrières académiques et professionnelles.
Il faudrait donc veiller à ce que l’utilisation de cet outil n’encourage pas la paresse intellectuelle et n’entrave pas le développement des compétences essentielles pour la rédaction. En effet, la mission de l’enseignement supérieur est de former des étudiants capables de penser de manière critique, de s’exprimer de manière claire et cohérente, d’analyser et de synthétiser les informations, ainsi que de faire preuve de créativité. Même en utilisant ce genre d’outil, il serait toujours possible de créer du contenu porteur de réflexion, d’imagination et de créativité. Ainsi, compte tenu de l’impact de l’IA générative textuelle sur les pratiques de rédaction académique, l’approche éthique à mobiliser face à cette nouvelle technologie serait donc de recourir à cet outil de manière guidée, réfléchie, responsable et transparente sans enfreindre les valeurs de l’intégrité académique.
En effet, l’ES avait toujours maille à partir avec le plagiat, et l’émergence de l’IA générative a seulement contribué à moderniser les méthodes de plagiat. Les professeurs peuvent s’outiller à détecter les textes produits par l’IA avec les outils comme ChatGPT Zéro, mais ils ne peuvent surtout pas accuser les étudiants d’avoir utilisé l’IA pour améliorer leurs textes. Les détecteurs d’utilisation de l’IA générative étant encore inefficace ou sous-développement, des politiques claires doivent donc être mises en place par les professeurs ou le système éducatif pour enlever les zones grises concernant l’utilisation de ces outils. Une discussion transparente avec les étudiants sur l’importance de l’intégrité académique et les conséquences éthiques et pratiques de la violation de celle-ci s’avère nécessaire.
Selon certains spécialistes, l’utilisation de chatGPT, comme un produit culturel, nécessite une « étiquette d’avertissement ». En ES ceci se traduit par des règlements et des encadrements que les universités et les enseignants pourraient imposer dans leurs programmes dès le début de la session. L’absence de cadres éthique et légal ainsi que l’ambiguïté quant au rôle de l’enseignant vis-à-vis des IA génératives, risquerait de conduire à des conséquences négatives dans l’ensemble du système. Les résultats d’une enquête menée récemment par Educause montrent que les leaders de l’ES s’engagent dans des discussions sur l’utilisation de l’IA générative, mais la majorité des répondants ne savent pas comment le corps professoral et le personnel l’utilisent ou prévoient de l’utiliser.
Chat GPT n’est pas seulement un outil adopté par les effectifs étudiants. Les enseignants et les chercheurs ont commencé à utiliser l’IA générative. De plus en plus d’articles universitaires se produisent en mentionnant le potentiel de chatGPT pour faciliter la recherche des informations et la rédaction des textes académiques. Les chercheurs qui utilisent ChatGPT risquent d’être induits en erreur par des informations fausses ou biaisées, et de les incorporer dans leur réflexion et leurs articles. ChatGPT reproduit généralement des textes sans citer de manière fiable les sources ou les auteurs originaux, les chercheurs qui l’utilisent risquent de ne pas accorder de crédit à des travaux antérieurs, de plagier involontairement une multitude de textes inconnus et peut-être même de divulguer leurs propres idées, car les informations que les chercheurs fournissent aux modèles de langages y restent et l’IA peut s’en servir pour produire des textes sans mentionner la source originale. Les modèles de langage à base desquels ChatGPT et Bard et LLaMA se sont construits peuvent reproduire et amplifier les biais, la toxicité et la désinformation. Ces modèles n’offrant aucune garantie concernant la protection de données, il est donc important de faire preuve de vigilance.
Le grand défi imposé à l’ES est donc de répondre aux besoins des apprenants dans un monde en constante évolution où la transformation numérique et l’IA dominent de plus en plus la société et le marché du travail. L’apparition de Copilote de Microsoft, l’assistant virtuel alimenté par GPT-4 d’OpenAI et son intégration dans l’Officie 365 montrent que l’IA générative va désormais faire partie intégrante du processus de recherche et de création en ES. Les étudiantes se posent de plus en plus de questions sur l’usage efficace et intègre de ces technologies dans leurs travaux. L’IA générative étant une technologie pérenne, il sera donc crucial que toutes les parties prenantes de l’ES s’engagent de manière concertée pour fournir un soutien ainsi que des moyens pour rendre autonome des personnes qui s’en servent.
Pour maintenir l’intégrité et les valeurs éthiques de l’enseignement supérieur tout en exploitant les avantages de la nouvelle technologie, les pratiques éducatives doivent être réfléchies de manière critique. Dans cette perspective, l’ES devrait repenser les méthodes d’enseignement et d’évaluation traditionnelles en adoptant des approches proactives qui intègrent les nouvelles technologies.
Le développement d’une littératie en Intelligence numérique est également crucial pour préparer les étudiants pour un avenir dominé par l’IA. ChatGPT et tous les autres outils dotés d’IA ne sont que des outils et leur but ultime ne dépend que de l’utilisation que nous en faisons. Il est donc impératif de ne pas abuser de leur usage et de veiller à ce qu’elles ne nous abusent pas dans la course à la création de nouvelles connaissances académiques et à l’éducation des futurs professionnels.