Aller au contenu principal

Les compétences essentielles des concepteurs et conceptrices pédagogiques, la relation avec le client, la collaboration au sein d’une équipe de conception pédagogique et plus avec Edouard Rotondo, président de Studio 7 Communications

1 février 2021

Edouard Rotondo, président de Studio 7 Communications, est venu rencontrer les étudiants du cours TEN-7006 Design de systèmes d’enseignement et de formation, pour répondre à leurs questions et parler du métier de concepteur pédagogique en agence et de l’impact de la pandémie de Covid-19 sur son entreprise et son équipe.

Voici quelques-une des questions que les étudiants lui ont posées.

Avez-vous des conseils et astuces pour devenir un meilleur concepteur pédagogique?

Un premier conseil : en agence, on a l’opportunité de mener à bien beaucoup de projets (20, 30 projets à des stades différents par année), et d’aller visiter les clients, voir leurs activités en pleine action. Ce sont des occasions à ne pas manquer, qui nous permettent de les rencontrer pour mieux les comprendre.

Ensuite, pour être un meilleur concepteur selon moi, il faut être ambitieux envers sa propre profession : vouloir être capable de répondre aux questions, remettre en question ses connaissances et les maintenir à jour avec les avancées constantes. Les clients ne sont pas experts en formation et se fient à nous. Un moyen d’y arriver est de se maintenir au courant : lire, prendre la parole, se mettre en avant et sortir de la zone de confort, réseauter, partager ses intérêts, prendre de la place. Cela nous force à voir nos erreurs et valide nos connaissances. Comme employeur, au cours des vingt dernières années, j’ai embauché plusieurs dizaines de concepteurs; mais peu se sont vraiment démarqués par des conversations à la fois pratico-pratiques et plus élevées intellectuellement, où on peut discuter d’idées et de théorie. C’est ça qui fait de vous un concepteur pédagogique reconnu.

Enfin, un dernier conseil est de ne pas hésiter à faire appel à des spécialistes pour jouer leur rôle dans le projet : même si on se débrouille avec certains logiciels, par exemple, le design ne sera jamais plus beau que lorsque fait par un designer, même si on veut économiser. Le client voit beaucoup ce qui est en avant, plus que le travail pédagogique derrière parfois. Il faut voir cette dépense comme un moyen de sécuriser un prochain projet avec ce client.

Si vous deviez revenir en arrière, quelles sont les choses que vous feriez autrement?

D’abord, je parlerais avec des experts en début de carrière pour mieux comprendre ma relation avec le client, comprendre ce que je vaux sur le marché, et me valoriser en ce sens. Cela m’aurait permis de mieux analyser qui je suis et dans quelles eaux je veux faire naviguer mon entreprise.

Aussi, j’établirais plus rapidement des limites avec les clients: ne pas être prêt à tout faire pour eux, car cela joue négativement sur nous. Ces sacrifices que l’on fait, le client va présumer qu’on est prêt à les faire en tout temps et cela hypothèque la relation avec lui. Par ailleurs, se positionner sur sa valeur nous amène à mieux cerner le marché dans lequel on veut travailler.

Que pensez-vous de l’usage du ePortfolio? Est-ce un incontournable pour vous au moment de recruter?

Je trouve qu’ils donnent une idée plus concrète des projets réalisés par chacun et permettent d’afficher la valeur ajoutée de candidats à l’embauche, particulièrement lorsqu’à la sortie de l’école, les CV sont sensiblement les mêmes. Personnellement, j’en ai encore un et même si j’en ai moins besoin maintenant, je le maintiens à jour. J’aime aussi consulter les portfolios numériques des autres. 

Il peut sembler difficile pour une agence qui débute et veut se constituer une clientèle, d’aller contre la volonté d’un client lorsque les solutions à proposer sont différentes de ce qu’il a exprimé. Comment faire?

En effet, il peut arriver que le client débute la démarche en ayant déjà une idée sur le type de formation qu’il veut ou des caractéristiques qu’il souhaite y voir. D’autres fois, le client n’a aucune idée de comment s’y prendre ou de comment répondre à son besoin; il a besoin qu’on l’écoute, et qu’on le rassure. La toute première chose est donc de l’écouter. Aussi, ce n’est qu’après avoir rencontré l’équipe, les dirigeants, et réalisé une analyse de performance qu’on comprend mieux le besoin, qu’on peut formuler des solutions qui y répondent et questionner avec tact les choix du client en lui expliquant ce qui serait plus pertinent dans le contexte. On ne dira pas au client qu’il n’a pas besoin de ci ou de ça, mais on suggérera des solutions selon notre analyse. Par exemple, il y a un ou deux ans j’ai été approché par l’Ordre des pharmaciens du Québec qui souhaitait comprendre pourquoi les pharmaciens ne prescrivaient pas malgré qu’une nouvelle loi les y autorise, pour les former en conséquence. Après analyse, on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas besoin de formation sur la nouvelle loi, ils avaient tout simplement peur de prescrire. On a alors été réactifs à trouver une autre solution qu’une formation.

Comment faire pour amener le client à comprendre que l’implication de l’expert tout au long du projet est nécessaire à la réussite de celui-ci, même si cela a un coût?

Dans mon agence, un expert de contenu n’a généralement pas plus de dix heures de temps à donner. Les idées sont mises sur la table très tôt dans le projet, et son rôle est ensuite plus ponctuel à certains livrables, une complétion de module par exemple. Nous avons un horaire de production très rigoureux qui réserve par avance le temps de l’expert lorsqu’on sait que cela va être nécessaire. Si l’expert doit mettre beaucoup de temps, c’est qu’il n’est peut-être pas prêt lui-même, que les idées ne sont pas bien formulées pour avancer dans le projet. Pour ce qui est du client, il s’implique surtout dans la gestion du projet, donc cinq à six heures maximum en général. Cela représente finalement assez peu d’heures, d’autant plus que l’on est capable de fournir un échéancier pour que le client se prépare à chaque étape. Enfin, une astuce: nous avons toujours une date « cut-off » à partir de laquelle il ne peut y avoir aucun ajout de contenu brut, pour ne plus avoir à modifier nos productions. Dans le cas contraire, il y a modification au projet et au budget pour ramener l’équipe à l’étape précédente.

Vous utilisez la méthode AGILE pour optimiser les étapes du processus, les temps de validation et d’ajustement avec les experts. Parfois, il peut être difficile pour les experts et le client de se faire une idée visuelle du produit à partir d’un scénario. Avez-vous une solution de juste milieu entre un scénario et un exemple concret, qui nécessite tout de même des efforts et coûts risqués avant validation?

Je peux vous parler de plusieurs exemples de documents techniques que nous utilisons à chaque étape.

D’abord, le document de stratégies d’apprentissage représente l’arborescence de la formation, c’est-à-dire ses grandes lignes avec le thème de contenu pour chaque section de module, les objectifs, et les traitements pédagogiques et/ou techniques pour chacune. Cela permet au client de valider la structure globale et voir s’il manque des choses de contenu.

Ensuite, le document de conception à proprement parler contient à chaque page indique le titre de diapositive, le script audio, l’interactivité, les traitements visuels et la durée prévus. Ce document est complémentaire avec un autre, le document de design, qui contient d’autres détails et notes pour l’équipe de production. Ce document est envoyé au client à plusieurs étapes pour valider au fur et à mesure.

En simultané de tout ceci sont créés le document de narration qui reprend au complet les scripts audios, ainsi que le scénarimage. Ce dernier est envoyé au client sous une forme très simple visuellement : le but est de lui donner une idée de ce qu’un écran pourra donner.

Vous semblez avoir une méthodologie très structurée et détaillée. Est-ce qu’elle ne crée pas un risque de redondance au gré des projets qui s’enchaînent?

Au contraire, c’est un morceau essentiel de notre contrôle qualité, auquel on se réfère à plusieurs étapes. Par exemple, avant même d’envoyer en production, on effectue un contrôle qualité sur le scénarimage et le script. L’équipe de production fait son travail et ses vérifications en interne, puis renvoit aux concepteurs pour valider à nouveau textes, fonctionalités, etc. Il y a donc plusieurs contrôles qualité avant même de soumettre en pilot testing au client. On utilise les morceaux les plus pertinents pour chaque projet, de sorte que c’est différent à chaque fois. Nous avons aussi des outils en place pour stimuler la création, qui viennent affiner continuellement cette méthodologie.

Bien sûr, on ne suit pas cette méthodologie à la lettre, on reste agiles. Elle sert aussi pour la formation de nouveaux employés, elle leur donne une structure de travail. 

Comment la pandémie a-t-elle affecté les affaires de Studio 7 ?

Il faut d’abord dire que pour nous, 2019 avait été une année record. Quand la pandémie est survenue, certes nous avons perdu 50% de nos revenus projetés en l’espace de deux mois. Cependant, l’année d’avant avait été tellement bonne que nous avons pu fonctionner à perte le temps nécessaire, puis les choses se sont remodelées. Les entreprises se sont adaptées, et nous aussi. Nous avons proposé trois nouveaux cours (facilitation en ligne, transformation de contenu en classe vers en ligne, et conception pédagogique), qui ont aidé à récupérer les pertes. À partir de septembre 2020, les choses ont décollé à nouveau et tout va bien maintenant.

Quels impacts la crise a-t-elle eu sur la vie d’entreprise, et l’équipe?

En termes d’emploi, nous avons gardé tout le monde. Ceux qui sont partis l’ont fait volontairement, car ils souhaitaient changer de cadre de travail (la vie en agence n’est pas faite pour tout le monde, le rythme y est soutenu).

Évidemment, nous avons embarqué en télétravail. Comme partout, les débuts étaient peu naturels, mais nous avons su nous réorganiser. Nous avons une rencontre Zoom de trente minutes quotidiennement pour passer tous les projets en revue, puis quatre à cinq réunions chaque semaine pour se lancer des idées et prendre des décisions. Nous avons recréé des espaces où socialiser, par exemple en laissant une salle zoom ouverte après 16h pour que les employés puissent venir discuter. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que certaines personnes de nature plus gênées auparavant en présentiel, socialisent très bien à distance et sont plus à l’aise.

Globalement, il faut dire que le travail est presque plus facile en ligne : moins naturel certes, mais les technologies sont très efficaces et nous permettent d’en faire plus dans une journée sans se surcharger. Les relations professionnelles se lient facilement à mesure que les gens s’habituent à cette nouvelle manière de travailler.

Autrice