Le microapprentissage pour une révolution sociale émergente
Nous sommes devenus dépendants d’une incroyable révolution aujourd’hui banalisée. La connaissance étant désormais au bout des doigts, nous ponctuons avec désinvolture nos journées à coup de questions et de réponses googlées : le cyberapprentissage s’est définitivement installé dans notre quotidien. Participant à ce progrès, bon nombre d’internautes communiquent volontairement tutoriels, conseils et réflexions sur les réseaux sociaux. Que ce soit de nouer une cravate, calmer un poupon ou contrer le racisme systémique, tous ces savoirs gratuitement partagés à la masse contribuent effectivement au développement global d’une société plus saine et fonctionnelle. Évidemment, souvent autodidactes et approximatives, toutes ces tentatives varient grandement en termes de qualité. En ce sens, puisque chaque individu détient le potentiel d’apporter au savoir collectif, l’État aurait tout intérêt à capitaliser sur ces phénomènes en valorisant et en éduquant ses citoyens à appliquer des principes pédagogiques, scientifiques, rigoureux, efficaces et atteignables : le microapprentissage.
Qu’est-ce que le microapprentissage ?
Le microapprentissage constitue une modalité d’apprentissage centré sur l’apprenant dans laquelle l’essence suffisante et épurée d’un contenu informationnel est véhiculée en moins de 5 minutes par le biais de médiums digitaux et mobiles (vidéos, textes, fichiers audio, infographies, foires aux questions, listes, etc.). Il a pour objectif de répondre à une question spécifique. Courtes, rapides et propices à consommer au moment et endroit voulu, ces micros-leçons conviennent à la fois à l’apprentissage autonome, ponctuel et opportun («just-in-time learning») et au simple rafraîchissement mnésique. De plus, le ton employé y est souvent plus informel que celui utilisé dans les contextes académiques.
Mais encore?
Le microapprentissage devrait spécifiquement être promu et inculqué à la population parce qu’il possède un haut retour sur investissement (RSI ou ROI). En d’autres mots, ses bénéfices transcendent significativement ses coûts. Effectivement, du côté de la production, le format écourté des micro-leçons est lié à plusieurs avantages. D’une part, il réduit souvent le temps et les ressources nécessaires à leur confection. Par exemple, créer une concise vidéo de quelques secondes, comparativement à une autre de plusieurs heures, est souvent bien plus rapide. D’autre part, leurs petits volumes digitaux permettent leurs téléversements sur les réseaux sociaux, les rendant ainsi plus accessibles à la masse. Ensuite, le matériel et les logiciels de base sont accessibles, faciles d’utilisation et abordables, voire même gratuits, pour beaucoup de créateurs. Notamment, une connexion Internet, un téléphone intelligent et l’application TikTok peuvent vraisemblablement simuler un onéreux studio; aujourd’hui, la qualité « fait maison » peut s’avérer très acceptable.
Du côté de la consommation, la motivation des apprenants est un bénéfice important. Notamment, les micro-leçons nécessitent peu de temps pour ces derniers ; elles s’insèrent plus aisément dans le quotidien. De plus, une activité peu chronophage est souvent moins intimidante et encombrante à consulter pour les individus. En effet, le travail de synthétisation préalablement effectué diminue largement le temps et le labeur requis pour la discrimination des informations pertinentes. Cela est d’autant plus propice pour le « just-in-time learning » préalablement mentionné.
Le microapprentissage gagne aussi des points sur son accessibilité pour les consommateurs. Plus particulièrement, sa compatibilité avec l’environnement mobile et les réseaux sociaux confère, aux détenteurs d’appareils intelligents connectés, des savoirs à la fois abordables et disponibles pratiquement en tout temps et en tout lieu.
Quant au point de vue cognitif, le microapprentissage est pédagogiquement avantageux. Premièrement, il est associé à un meilleur rappel des connaissances puisqu’il est mentalement peu énergivore (lire fatiguant). Notamment, à l’instar d’une personne épuisée par de longs enseignements, un individu visualisant une courte vidéo jouira probablement de fonctions cérébrales davantage maintenues, et donc plus efficientes. Deuxièmement, puisque le cerveau ne peut se remémorer de l’entièreté des stimuli auxquels il est exposé sans se surmener, il émonde progressivement ses apprentissages. C’est la courbe de l’oubli, une séquence ressemblant quelque peu à une décroissance exponentielle. Or, grâce à leur petite taille et leur accessibilité quasi instantanée, des micro-leçons éreintent peu le cerveau et la mémoire à court terme. Autrement dit, elles peuvent être consommées répétitivement et sans trop d’efforts, ce qui facilite le passage des informations vers la mémoire à long terme. Troisièmement, avec la diminution reconnue de la capacité d’attention chez la population, la brièveté informationnelle constitue une stratégie pédagogique congruente avec le microapprentissage puisqu’elle ne recourt pas à un long focus soutenu.
Somme toute, le plus gros RSI du microapprentissage repose vraisemblablement ici dans sa compatibilité avec la diffusion de connaissance horizontale, co-construite et interactivement retravaillée : c’est-à-dire avec l’apprentissage social. Ces deux types d’apprentissages sont donc conciliables avec un incommensurable potentiel pédagogique : un perfectionnement grâce et avec autrui via l’édification et la consultation d’une banque informationnelle collective aspirant à la vastitude-même de la connaissance humaine. Or, ayant déjà pris racine dans les médias sociaux et étant abreuvée par les communautés, cette incroyable bibliothèque n’aurait véritablement besoin que d’un treillis, une structure éprouvée, pour fleurir davantage. En d’autres mots, le contenu numérique disponible manque parfois cruellement de pédagogie, phénomène qui pourrait certainement être amoindri par la popularisation des principes du microapprentissage. (Par exemple, qui n’a jamais esquivé un long mur d’anecdotes insignifiantes en parcourant un blogue de recettes culinaires?)
Bref, nous avons entre les mains de formidables communautés d’apprentissage autonomes. De plus, grâce aux internautes, le contenu et le contenant y sont déjà assurés. Il ne suffirait qu’un additionnel savoir-faire partagé sur la présentation de l’information pour rehausser un mouvement social capable de faire une véritable différence dans la vie des gens. (Par exemple, en montrant les aliments avec le meilleur ratio qualité-prix d’une région, une vidéo TikTok bien construite pourrait, entre autres, introduire un parent à mieux alimenter sa famille. Une courte infographie sur les droits juridiques pourrait, quant à elle, inspirer un imam à orienter des victimes de racisme aux ressources d’aide appropriées.) Ainsi, faisons-nous service et investissons aujourd’hui pour épargner sur le long terme : redistribuons activement les savoirs portant sur la pédagogie, notions demeurant trop souvent (et jalousement?) confinées qu’à l’élite éduquée, pour fortifier l’autonomie, l’autoformation et l’émancipation de notre société.
Autrice
Roxane Desmarais