Apprentissage mobile : une révolution pédagogique ou un piège numérique pour les jeunes ?
L’essor du numérique en éducation est souvent présenté comme une avancée inévitable. Dans les écoles et universités, les technologies s’imposent, allant des tableaux interactifs aux plateformes d’apprentissage en ligne. Plus récemment, le mobile learning (m-learning) a gagné du terrain, offrant aux élèves un accès instantané aux ressources éducatives via smartphones et tablettes.
Cette transformation soulève toutefois un paradoxe : en encourageant l’apprentissage mobile, ne risquons-nous pas d’aggraver la surexposition aux écrans des jeunes ? Dans un contexte où l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) met en garde contre les risques liés aux écrans, faut-il s’inquiéter de la place croissante du m-learning dans l’éducation ?
Un apprentissage accessible… mais à quel prix ?
Le m-learning repose sur des applications éducatives et des jeux qui rendent l’apprentissage flexible et engageant. Duolingo en est un exemple : grâce à la gamification, aux notifications et aux défis quotidiens, il stimule la motivation et facilite l’acquisition des connaissances. Ces outils démocratisent l’accès au savoir et permettent aux élèves d’apprendre à leur rythme.
Cependant, l’INSPQ rappelle que les jeunes passent déjà plus de 5 heures par jour devant un écran, hors temps scolaire. L’ajout du m-learning risque donc de prolonger ces périodes d’exposition, au détriment du sommeil, de la concentration et des interactions sociales. Peut-on vraiment croire que du temps d’écran « éducatif » compense les effets négatifs de l’exposition prolongée au numérique ?
L’illusion d’un écran éducatif
La frontière entre usage éducatif et récréatif est plus floue qu’il n’y paraît. Les applications d’apprentissage comme Duolingo utilisent des mécanismes de récompenses instantanées qui activent la dopamine, un processus exploité par les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Un élève engagé dans une activité éducative peut être tenté de prolonger son temps d’écran sur TikTok Learn ou YouTube Shorts, où les algorithmes favorisent un scrolling infini pour capter l’attention. La Revue Médiations souligne que l’éducation numérique doit être encadrée, car une exposition excessive aux écrans ne garantit pas un apprentissage efficace.
Les notifications et récompenses instantanées créent un réflexe compulsif basé sur la dopamine, comme dans les jeux vidéo. Le rapport Mieux vivre avec les écrans – réflexions pour une régulation favorable à la santé publique insiste sur la nécessité de limiter ces sollicitations constantes dès le plus jeune âge.
Une augmentation globale du temps d’écran
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle le m-learning réduirait le temps d’écran récréatif, les études montrent qu’il s’ajoute aux autres usages sans les remplacer. Un rapport de l’INSPQ indique que, malgré l’essor du numérique éducatif, le temps consacré aux écrans pour le divertissement ne diminue pas. Au contraire, l’accessibilité accrue aux écrans semble renforcer l’habitude d’utilisation prolongée, avec des effets préoccupants sur le bien-être des jeunes.
Cette surexposition numérique affecte les rythmes biologiques. L’INSPQ souligne que l’usage excessif des écrans, surtout en soirée, réduit le sommeil et augmente la fatigue en classe. Un rapport de Verdict Santé ajoute que l’usage scolaire des écrans nuit à la concentration, notamment à cause des notifications et du flux constant d’informations.
Interdire ou encadrer ? Trouver un équilibre
Face à ces enjeux, certains prônent une interdiction stricte des écrans éducatifs, comme c’est le cas pour les jeux vidéo. Roxanne Bélair, professeure de français et de littérature au Collège Montmorency, souligne que plusieurs écoles adoptent des règlements visant à restreindre l’usage des écrans en classe. Toutefois, elle met en garde contre une approche trop rigide qui risquerait de priver les élèves d’outils d’apprentissage innovants. D’ailleurs, plusieurs pays ont mis en place des politiques pour encadrer l’utilisation des téléphones portables en milieu scolaire. Par exemple, la France a interdit l’utilisation des téléphones portables dans les écoles et les collèges depuis 2018, visant à améliorer le climat scolaire et les apprentissages. De son côté, le Royaume-Uni a annoncé en 2024 une interdiction similaire dans les établissements scolaires, en réponse aux préoccupations liées aux distractions et au harcèlement. En Finlande, bien qu’une interdiction totale soit juridiquement complexe, l’Agence nationale pour l’éducation recommande de réglementer l’utilisation des téléphones portables pendant les cours pour maximiser les bénéfices pédagogiques.
Le mémoire Vers un usage équilibré des écrans : miser sur les familles et renforcer l’effort scolairepropose une alternative : accompagner les parents et les enseignants dans l’encadrement du numérique plutôt que l’interdire. Parmi les pistes envisagées :
• Fixer des limites de temps pour le m-learning, avec des pauses numériques obligatoires.
• Encourager une approche hybride, où le numérique est un complément et non un substitut aux méthodes traditionnelles.
• Sensibiliser les jeunes aux mécanismes de l’attention et aux stratégies de concentration.
• Repenser les applications éducatives, en limitant les incitations addictives comme les notifications et les défis quotidiens.
L’INSPQ recommande d’ailleurs de développer des balises progressives selon l’âge et d’intensifier la sensibilisation aux effets du numérique.
Vers une éducation numérique équilibrée
Alors, faut-il limiter le temps d’écran éducatif comme on le fait pour les jeux vidéo ? Si le m-learning peut être un formidable outil pédagogique, il ne doit pas devenir un cheval de Troie du temps d’écran excessif.
La plateforme Pause Ton Écran, réalisée par Capsana avec le soutien du gouvernement du Québec et un comité d’experts en santé publique, éducation et dépendances, propose des ressources pour aider les familles à mieux encadrer l’usage des écrans. Parmi les experts impliqués figurent Magali Dufour, Ph. D., spécialiste des dépendances numériques, et Caroline Fitzpatrick, Ph. D., titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le vivre-ensemble et les médias numériques. Leur approche vise à sensibiliser parents et jeunes aux impacts de l’hyperconnectivité et à proposer des stratégies pour un usage équilibré.
L’intégration du numérique en éducation doit répondre à des objectifs pédagogiques précis, en évitant qu’il ne devienne une béquille technologique ou un simple prolongement des habitudes numériques des élèves. Nous sommes à un tournant. L’avenir de l’éducation sera numérique, mais pour être bénéfique, il devra être équilibré.